Paris-Pontoise - Stratégies de recherche d'information des digital natives
Je
n'ai pas l'âme blogueuse ces derniers temps. La faute à trop de
travail (et ça, c'est parti jusqu'aux "grandes"
vacances...) en premier lieu ; la faute aussi sans doute à l'apathie
dans laquelle me plonge la météo maussade de ces dernières
semaines. Mais ce soir, c'est week-end, je me lâche (et lach T kom
!).
Ce matin, je suis allée travailler en bus. Non pas que ça
me fasse gagner du temps, mes pieds sont en général plus rapides,
mais parce que je n'étais pas d'humeur pour le parcours semé
d'embûches du piéton rouennais les jours de pluie (c'est-à-dire
environ les 2/3 de l'année...). En effet, au stationnement sauvage
des 4x4 sur les trottoirs - qui pimente le slalom à accomplir entre
les containers d'ordures ménagères et les déjections de toutes
natures -,au comportement de sauvage de l'homo-automobilis pressé
qui a oublié que les rayures blanches au sol accompagnées d'un
dispositif de signalisation lumineuse passant à intervalle régulier
du vert au rouge signifient qu'il n'a pas forcément la priorité, et
à un éclairage public aléatoire (et oui, quand je pars au travail,
il fait encore nuit), à tous ces désagrément quotidiens donc,
s'ajoutent les plaisirs du pavé descellé, celui qui, en fourbe,
manque de vous envoyer aux urgences tout en maculant le bas du
pantalon d'un délicat liquide à forte dominante d'hydrocarbure.
Bref, pour toutes ces raisons qui n'ont fait qu'un tour dans ma tête
dans l'ascenseur, ce matin, j'ai pris le bus. Et je n'ai pas
regretté.
A quelques sièges de moi, s'installe un petit
groupe de jeunes filles en fleurs. De l'adolescente moyenne
pourrait-on dire. Ni particulièrement stylée ni coincée.
Manifestement, le bus de 7h30, c'est le meeting
point
quotidien de cette petite bande. Après les échanges d'usage en
début de journée, débute une passionnante conversation au sujet de
ce qu'on nous vend comme La
Boum des
années 2000, LOL.
L'une sort de son sac à dos trop grand une page arrachée dans un
magazine féminin vraisemblablement piqué à sa mère et la tend
avec fierté à sa copine. La copine accueille le morceau de papier
avec une joie indescriptible (mais regrette quand même que la photo
ne soit pas au format poster), et, cherchant désespérement
sur le papier glacé le nom de son idole éphémère, s'écrie qu'il
est vraiment "trop
beau".
Là-dessus, elle ajoute qu'elle ne connaît pas son nom et qu'elle a
cherché des photos de lui sur Internet mais qu'elle n'a pas trouvé
grand-chose. Je tends l'oreille.
Si Nadine
Morano avait été présente, nul doute qu'elle nous aurait fait
une crise d'apoplexie et que Frédéric
Lefebvre aurait surgi en un éclair pour justifier une fois de
plus son aversion pour le repaire de pervers qu'est le Net. Cette
pauvre jeune fille se plaignait en effet qu'elle n'avait trouvé que
des trucs "zarbis"
en "tapant
LOL sur Internet",
plein de "trucs
pornos".
Et là, je pense tout de suite illustration de ce mal rampant qui
consiste à confondre Google
et navigateur, et surtout Google
et Internet. Je pense aussi à cette étude menée en Belgique et
qui tend à montrer que tout digital natives qu'ils sont, la plupart
des ados ne
valent pas tripette quand il s'agit de rechercher une
information. Je pense enfin à la façon dont elle aurait pu aisément
trouver l'information recherchée, à commencer par le nom du jeune
éphèbe (mais bon sang, pourquoi ne leur enseigne-t-on pas l'IMDB
à l'école ? Que fait l'Education nationale ?). Tout ça se passe
bien sûr très vite, même pas le temps du trajet entre les deux
premières stations.
Intérieurement, j'élabore donc ma
stratégie de recherche d'info et je pouffe, sans mauvais jeu de
mots. Je continue en même temps d'écouter (le cerveau des femmes
est nativement multitâche,
c'est scientifiquement prouvé |o), et la première reprend la
parole, me rassurant (un peu) du même coup sur les aptitudes
informationnelles des jeunes générations. Elle propose en effet à
son amie d'adopter une stratégie de recherche un peu plus élaborée,
et lui suggère de combiner le nom du personnage et le nom du film
"t'as
qu'à chercher machin dans
LOL -
oui, j'ai oublié ledit prénom, honte à moi", et ajoute même
que maintenant qu'elle connaît son vrai nom (grâce au sabotage du
Figaro
Madame
de sa mère), elle aura plus de chance de trouver des choses sur lui.
On progresse. Et on arrive à destination.
Moralité de ces
quelques minutes instructives : quitte à s'exciter sur les "dangers
d'Internet", qui ne sont pourtant pas bien différents de ceux
de la "vraie" vie (voir l'excellent post de Nicolas Voisin,
"Internet
est une rue"), pourquoi ne pas inclure dedans le danger que
représente l'équation manifestement répandue selon laquelle Google
= Internet ? Au même titre que la pluralité dans la presse, la
pluralité du Web me semble essentielle. Quel journal, quelle chaîne
de télévision atteint aujourd'hui 90 % de parts de marché ? Si
c'était le cas, et même avant qu'on atteigne de tels chiffres, des
voix s'élèveraient, à juste titre, pour dénoncer ce dangereux
monopole. On pourra donc faire toutes les leçons qu'on veut aux ados
sur la nécessité de lire la presse et de multiplier les sources, si
on ne leur enseigne pas la même chose pour la recherche
d'information, alors cette génération et les suivantes sont
perdues. Ils ont l'avantage d'être nés avec une souris et un
clavier dans les mains, apprenons-leur à s'en servir. Le temps de
cerveau rendu disponible par leur aisance à manier les outils est là
pour ça.
Moralité plus légère : c'est universel, quand on est
ado, on a des goûts de chiotte en cinéma et on est toute
émoustillée au premier gommeux qui passe à l'écran.
Dernière
moralité : ce que j'ai entendu d'une conversation entre deux gars de
15-16 ans hier n'a aucun intérêt sinon celui de m'avoir fait rire,
mais je note que quand on prend le bus aux mêmes heures que les
lycéens, on entend de ces perles... Et on se souvient que c'est un
âge
ingrat !